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Modus Vivendi (titre provisoire)
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Pascale KLINGELSCHMITT - Modus Vivendi (titre provisoire)

Lien vers le site de l'artiste : Site internet

Celui qui comprend le langage de la nature se sent apparenté à toutes les créatures (Alexander von Humboldt).

A propos des Métamorphoses de Pascale Klingelschmitt

Le grand thème qui occupe l'artiste Pascale Klingelschmitt à tous les niveaux est la vie et les conditions d'existence. Les textes de biologistes et de philosophes fran- çais connus comme Francis Hallé ou Baptiste Morizot font partie de ses lectures. Son travail s'articule autour de la nature et plus particulièrement du monde des plantes. Dans ses travaux, elle rassemble tous les êtres vivants - de l'homme aux micro-organismes - sous la notion de "vivant". Il s'agit donc de notre espace vital, la terre, il s'agit de la nature et de la position de l'homme dans son environnement ainsi que de son rôle. Il est question du début et de la fin de la vie, de la nature, de la terre. Il s’agit de questions existentielles à plusieurs niveaux.

La richesse et la diversité des formes produites par la nature fascinent Pascale Klin- gelschmitt ; elle collectionne tout ce qu'elle trouve de remarquable lors de ses promenades dans les forêts proches du piémont vosgien de son village natal de Lautenbach en Alsace. Dans son petit atelier, une ancienne grange à laquelle on accède par la maison et le petit jardin qui se trouve derrière. Ses trouvailles sont soigneusement alignées - l'objet naturel, mais aussi des moulages en plâtre de celui-ci. On se sent immédiatement proche des "Formes artistiques de la nature" d'Erich Haeckel.

L'œuvre "les chicots" de 2015 constitue peut-être une œuvre clé pour comprendre la motivation de l'artiste.

Les chicots présentent de petites productions plutôt discrètes d'une branche coupée, que celle-ci produit comme une réaction à la blessure, comparable à une blessure provoquant ainsi une cicatrice. Elles sont suspendues au mur - en porcelaine - par de fins fils en une longue rangée et font penser à de petits ex-voto en cire.

Ex Voto signifie accomplir un vœu, généralement après la guérison d'une maladie ou le sauvetage d'une situation périlleuse. Cette coutume catholique, qui a connu son apogée de l'époque baroque jusqu'au XIXe siècle est encore vivante aujourd'- hui dans certaines régions, surtout rurales et dans le sud de l'Europe. Les offrandes, souvent en cire, représentent les parties du corps qui ont été guéries, qu'il s'agisse de la jambe, du cœur ou de la poitrine. Ce sont donc des symboles de guérison et de survie.

Les chicots sont les "cicatrices" de branches coupées qui, d'une part, sont le signe d'une blessure et renvoient à une existence abîmée, mais qui, d'autre part, en tant

que manifestations de la cicatrisation, représentent aussi un triomphe de la vie sur la mort.

"Les chicots" établit, par l’analogie avec l'ex-voto, la liaison entre la plante, l’arbre et l'homme, avec des sentiments humains tels que l'espoir de guérison ou la croyance en une puissance supérieure. Des liens qui peuvent être lues comme des références à des expériences et des souvenirs personnels.

Entre la vie et la mort, le début et la fin, il y a le processus permanent de la trans- formation, des métamorphoses. C'est entre ces pôles que se situent les travaux de Pascale Klingelschmitt.

Cela se voit déjà dans les titres des travaux : "oriri" - du latin pour naître, grandir, ou "ex nihilo" - à partir de rien, comme le nom des travaux les plus récents. Ce n'est probablement pas un hasard si elle a utilisé ici le latin, la langue scientifique. Dans sa recherche artistique aussi, elle utilise toujours des méthodes et des outils des sciences naturelles, comme la boîte de Pétri et le microscope, pour étudier la matérialité, les propriétés et le comportement des organismes vivants, leur crois- sance, leur mouvement et leur changement dans le temps et l'espace - en termes biologiques : mutation, hybridation et métamorphose.

Klingelschmitt utilise comme matériau une pâte de porcelaine qui a la propriété d'être suffisamment solide pour que les "pousses" formées par l'artiste ne s'effondrent pas sur elles-mêmes dans le four, mais qui n'est pas non plus si rigide qu'elle ne puisse changer de forme. La manière dont elles le font, la direction dans laquelle elles se développent, sont laissées à la discrétion de chaque plante, de chaque être vivant, qui se voit ainsi reconnaître une vie propre. L'artiste s'intéresse ici à l'opposi- tion entre un matériau solide qui représente en même temps le mouvement, le dé- veloppement, la croissance et le changement. Les structures végétales sont pour elle un symbole de tout ce qui vit, de tous les êtres vivants qui peuplent la terre, quelle que soit leur espèce.

Les premières œuvres, "oriri", ont été réalisées depuis 2016, avant même le début de la pandémie de Corona. Elles marquent l'origine de la vie, le début de l'existence terrestre. Les éléments végétaux ressemblent à une mise en culture ou à des micro-organismes dont la croissance, vue au microscope, ressemble à des structures végétales. Ces sculptures se développent au sein d’un récipient en verre; une boîte de Pétri.

Puis, lors de la pandémie de Corona, les objets ont connu une énorme "poussée de croissance" et ont pris des couleurs. Avec "les échappées", depuis 2020, la petite boîte de Pétri s'est muée en récipients de verre plus grands, à partir desquels des pousses en terre cuite, des pousses de plantes ou des microstructures d'autres êtres vivants, comme des microbes (impossible de le déterminer avec précision) se tordent dans toutes les directions imaginables.
Elles semblent vouloir s'échapper du récipient de culture, on pourrait avoir l'impr- ession qu'elles sont encore en cours de développement au moment où on les ob- serve, tant elles dégagent un grand dynamisme. Leur croissance semble alors in- contrôlée, en tout cas échappant au sens naturel de la croissance, où les pousses se dirigent vers la lumière. La nature s'est emballée, ses lois sont manifestement ab- olies, les pousses s'élancent dans toutes les directions possibles et imaginables, elles n'ont plus de fond, plus d'appui. Les pousses tentent avec la dernière énergie d'arracher la vie à la motte de terre d'où elles émergent. C'est une croissance puissante, mais sur un sol fragile.

Les pousses veulent-elles échapper à leur fonction de service en tant qu'objet d'étude, retrouver leur liberté et leur autonomie ? Des organismes qui revendiquent une plus grande valeur intrinsèque ? Une nature qui ne peut plus être contrôlée ? Des plantes et d'autres organismes auxquels il faudrait accorder une nouvelle place dans notre vision de la nature et du monde ?

Les œuvres murales "Les soulèvements de la terre" - mais peut-être aussi la rébellion de la terre - présentent une thématique comparable, dans laquelle le vivant se bat avec la dernière énergie pour atteindre la lumière dans des conditions extrêmement pauvres, à partir de plaques en terre cuite émaillée.

De petites sculptures, où le verre est devenu le casque protecteur d'une pousse, portent le titre légèrement ironique "Jusqu'ici tout va bien".

Dans les œuvres "ex nihilo" réalisées depuis 2024, après la fin de la pandémie, la boîte de Pétri autrefois vitrée s'est transformée en un socle massif en argile émaillée. La croissance des pousses n'obéit toujours à aucune règle et part dans toutes les directions. Ex nihilo ? De nulle part ? L'association "creatio ex nihilo" - Dieu a créé le monde à partir de rien ... s'impose. En cosmologie, "ex nihilo" ren- voie à la thèse du big bang - si le monde est fini, il doit y avoir eu auparavant un néant à partir duquel il a été créé. Des questions philosophiques centrales entre le rien et le quelque chose apparaissent, des questions sur le début et la fin ...

Une fin de la vie sur terre qui semble se rapprocher face à la menace massive que fait peser sur la nature l'accélération du changement climatique a poussé à ses li- mites la vision aristotélicienne de l'homme avec sa hiérarchie claire plante-animal- homme. Selon le sociologue et philosophe français Bruno Latour (1947 - 2022), le changement climatique exige de se libérer des idées directrices de la modernité, comme le progrès et la domination de la nature par l'homme. Le couple conceptuel culture - nature, conçu comme une dichotomie est dépassé. L'homme fait partie de la nature et interagit avec tous les autres êtres (et choses) de la Terre qui, comme les hommes, sont des acteurs à part entière. Comme Alexander von Humboldt ou les romantiques allemands, Latour conçoit la Terre comme un système dynamique homme-environnement. L'homme fait partie de la nature et interagit avec elle. Le système Terre ("Gaia" chez Latour) est constamment en mouvement, il se trans- forme : métamorphoses.

Toute l'attention de Pascale Klingelschmitt, son engagement, dans la vie comme dans l'art, va à la nature vivante, à tous les êtres vivants. La proximité avec les con- ceptions de Bruno Latour est indéniable.

Dans ses œuvres d'art, qui se caractérisent par une pénétration et une vivacité étonnantes, mais aussi par une grande esthétique,
Pascale Klingelschmitt parvient à reformuler de manière très particulière, voire uni- que, des questions fondamentales sur l'avenir de la vie sur terre.

© Elisabeth Schraut 2024