On this second day of the 2024 Spring Poets edition we offer you a poem of Pierre ROUFFIGNAC called "Histoires"
Histoires...
La lune nous veillait pour la première fois.
Corps doucement mêlés, confidences sans rimes,
La lune souriait de notre échange intime.
Quatorze février d’une nuit d’autrefois...
Nous avions fait l’amour sur cette scène vide
Où quelque instant avant tu brillais mille feux,
Où tous te souriaient, les enfants et les vieux.
Moi ? Je te dévorais d’un regard impavide.
Blottie sur mon épaule... « Raconte notre histoire ! »
Et tu me souriais comme un petit enfant,
Le regard malicieux, le regard suppliant.
Je me suis donc assis, balbutiant dans le noir :
« Rostand a de sa plume au siècle dernier,
Bravant la mode, écrit, en vers de douze pieds
L’histoire d’un Gascon appelé Cyrano,
Amoureux de la vie, mais plus encor des mots.
C’est vrai que je le suis à moitié par mon père
Et le serai toujours, Gascon, et j’en suis fier.
Bretteur et rimailleur, simplement par amour
De la vie comme lui, et de toi pour toujours.
Tu vois, si j’étais lui, je parlerais d’amour,
Te ferais des serments et te ferais la cour.
J’irais, le soir venu, caché sous ton balcon,
Te raconter la vie un peu à sa façon.
J’irais me battre aussi contre le roi d’Espagne,
À cent contre un, pour toi, pour que l’amour te gagne.
J’irais défier la mort simplement pour prouver
Que l’on peut être aimé en ayant un grand nez.
Mais pourrais-je te taire ainsi mes sentiments ?
Pourrais-je n’être que le double de l’amant ?
Celui que tu aimais, sans savoir, tendrement
Et venir en tes bras mourir dans un couvent.
Je sais, si tu le veux, que je saurais t’aimer.
D’un trait, repousserais les mots comme « jamais »
Et les transformerais, si tu le veux toujours,
En doux alexandrins rimant avec « amour »."
Roxane est douce aussi, précieuse mais sincère,
Frémissant de le voir ainsi croiser le fer,
Contre un, ou contre cent, pour rien, ou pour l’honneur,
Pour chasser un instant de sa vie la rancœur.
Elle ne sait que dire : « Assez, mon cher cousin !
Veillez sur l’être aimé, veillez sur son destin,
Protégez-le pour qu’il revienne de la guerre,
Qu’il m’écrive souvent comme il parlait naguère. »
Serais-je Cyrano et serais-tu Roxane ?
Attendrais-tu quinze ans pour comprendre sans larmes
Que mon cœur fait tout seul plus de bruit quand il cogne
Qu’un régiment complet de Cadets de Gascogne ?
Tu t’étais assoupie, libre de tes tourments.
Moi ? Je savais déjà qu’il faudrait que je parte
Sans pouvoir dire un mot que la raison n’écarte,
Que ma place n’était que celle de l’amant.
***
Tristes Saint-Valentin où tu n’étais pas là
Et de larmes coulant tout au fond de mon cœur.
Qu’étais-tu devenue ? Vivais-tu le bonheur ?
Avais-je encor le droit de ne penser qu’à toi ?
Tant d’hivers ont passé sans aucune victoire.
Quand je t’ai retrouvée sans penser à demain,
Tu m’as dit simplement :« Viens ! Ne lâche pas ma main. »
(Veux-tu que je te conte à nouveau une histoire ?)
Pierre ROUFFIGNAC