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Culture Littérature - Book1

Ecrivains pour la paix

De Jerusalem à Strasbourg...

De Jérusalem à Strasbourg

 

En mai dernier, Boualem Sansal[1] s’est rendu en Israël, pour participer à la 3e édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, dont il était l’invité d’honneur. Ce voyage a suscité de nombreuses (et vives) réactions, en Europe, en Israël et dans le monde arabe.

 

A son retour, Boualem Sansal a publié un texte intitulé : « Je suis allé à Jérusalem … et j’en suis revenu riche et heureux ». Il y fait notamment état de sa rencontre avec David Grossmann[2], et de l’idée née suite à cette rencontre : mettre en place « un vaste rassemblement d’écrivains pour la paix ». Le texte de Boualem Sansal et la réponse de David Grossman sont reproduits en annexe.

 

Cette initiative a reçu un soutien spontané, provenant des horizons les plus divers. Un petit groupe d’amis s’est mis en place de façon informelle, autour de Boualem Sansal, afin d’apporter au projet non seulement leur engagement personnel mais aussi le soutien d’institutions telles que le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, Radio France, les Editions Gallimard (et la Librairie Kléber de Strasbourg), l’association des éditeurs et libraires allemands (qui remet chaque année le prestigieux « Friedenpreis » à un écrivain qui s’est engagé pour la paix) ou la "World Alliance" (qui regroupe les festivals d'Edimbourg, de Berlin, de Jaïpur, en Inde, de Pékin, de Melbourne, de Toronto et du Pen Club de New York ainsi qu'Etonnants Voyageurs à Saint-Malo).

 

Les réflexions menées au sein du groupe ont conduit à inscrire ce projet dans le contexte du 1er « Forum mondial de la Démocratie », qui se tient à Strasbourg du 5 au 11 octobre 2012, à l’initiative du Conseil de l’Europe. Par ce biais, l’initiative a reçu le soutien politique des trois principaux organisateurs du Forum : le Conseil de l’Europe lui-même, la Ville de Strasbourg et le gouvernement français.

 

Le programme s’est déroulé en trois phases, du (samedi) 6 octobre à Strasbourg jusqu'au (dimanche) 14 octobre 2012 à Francfort :

 

  • Le 6 octobre, Boualem Sansal et David Grossman ont lancé l'appel à Strasbourg, dans le cadre d'une cérémonie à l'Hôtel de Ville, en présence du Maire de Strasbourg et de la Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe. Cet appel est adressé à leurs confrères (et en premier lieu aux autres lauréats du « Friedenpreis »), aux décideurs politiques, activistes et experts qui se réunissent dans le cadre du Forum mondial de la démocratie, et au-delà à l'opinion publique et à la communauté internationales en général. Le lendemain, les deux écrivains ont visité des lieux symboliques de la coexistence pacifique entre les religions (cathédrale, synagogue, mosquée, église protestante Saint-Pierre le Jeune) et de la réconciliation franco-allemande (Jardin des Deux-Rives). Ils ont également eu des contacts avec les autorités politiques soutenant le projet, avant de participer (le 8 octobre) à la session d’ouverture du Forum mondial de la démocratie.

 

  • Du 8 au 11 octobre, les activités menées dans le cadre du Forum mondial pour la démocratie ont été mises à profit pour promouvoir l’appel et rassembler le plus grand nombre de signatures d’écrivains possible. Le 11, lors de la session de clôture du Forum, Boualem Sansal a présenté officiellement l’Appel et la liste de ses premiers signataires. La mise en place du « rassemblement des écrivains pour la paix » a été actée.

 

  • les 13 et 14 octobre à Francfort, les résultats des travaux réalisés à Strasbourg ont été présentés à la presse et à des écrivains présents à la Foire international du Livre, dans le contexte de la cérémonie de remise du « Friedenpreis » 2012 à l'écrivain chinois Liao Yiwu.

 

Au-delà, une série d’actions de suivi seront menées, et un secrétariat permanent sera mis en place à Strasbourg – avec l’appui logistique de la Ville et du Parlement européen - pour soutenir le réseau, contribuer à son action et favoriser son développement. Des partenariats à long terme seront mis en place - sur le plan médiatique - avec la chaîne de télévision franco-allemande ARTE, basée à Strasbourg, et – sur le plan opérationnel et stratégique - avec ICORN (International Cities of Refuge Network), basée à Stavanger (Norvège), qui rassemble des villes offrant leur hospitalité à des personnes menacées dans leur pays en raison de leurs écrits.

 

L’appel et le rassemblement resteront une initiative personnelle des écrivains concernés, conçue et animée par les écrivains eux-mêmes et leur secrétariat, tout en bénéficiant du soutien des institutions et partenaires sus-mentionnés.


 

Je suis allé à Jérusalem... et j'en suis revenu riche et heureux

 

(publié le 24 mai 2012)

 

Chers frères, chers amis, d'Algérie, de Palestine, d'Israël et d'ailleurs,

 

Je vous écris ces quelques lignes pour vous donner de mes nouvelles. Peut-être êtes-vous inquiets à mon sujet. Je suis un homme simple, vous le savez, un écrivain qui n'a jamais prétendu à autre chose qu'au bonheur de vous raconter des histoires, de ces "histoires à ne pas dire" comme disait mon ami le cinéaste Jean-Pierre Lledo, mais voilà, des gens ont décidé de s'immiscer dans nos relations de fraternité et d'amitié et de faire de moi un objet de scandale à vos yeux.

 

Rendez-vous compte, ils m’accusent rien  moins que de haute trahison envers la nation arabe et le monde musulman en leur entier. Ça veut dire ce que ça veut dire, qu'il n'y aura même pas de procès. Ces gens sont du Hamas, des gens dangereux et calculateurs, ils ont pris en otage le pauvre peuple de Gaza et le rançonnent jour après jour depuis des années, dans cette sorte de huis clos obscur que leur assure le blocus israélien, et maintenant ils viennent nous dicter, à nous qui essayons par tous les moyens de nous libérer, ce que nous devons penser, dire et faire; il y en a d'autres aussi, des anonymes, des individus aigris et fielleux, fermés à tout, qui relaient la haine comme ils peuvent à travers le Net. C'est par eux, par leur communiqué vengeur et leurs insultes à la ronde, que vous avez appris mon voyage et je viens là vous le confirmer pour qu'il n'y ait aucun trouble dans votre esprit et que les choses soient nettes entre nous : JE SUIS ALLE EN ISRAEL.

 

Quel voyage, mes aïeux, et quel accueil! Pardonnez-moi de ne pas vous l'avoir annoncé moi-même avant de partir, mais vous comprenez, il fallait de la discrétion, Israël n'est pas une destination touristique pour les Arabes, encore que... ceux et pas des moindres qui m'ont précédé dans ce pays du lait et du miel l'ont fait en catimini, voire avec de faux noms ou des passeports d'emprunt, comme en son temps cette brave madame Khalida Toumi, alors opposante fervente au régime policier et intégriste d'Alger, de nos jours son brillantissime ministre de la Culture, une tête pensante de choc très engagée dans la chasse aux traîtres, aux apostats et autres harkis. C'est à elle en particulier que les Algériens doivent chaque jour de tant vivre d'ennui et de rage dans leur beau pays. Ses douaniers ne m'auraient jamais laissé sortir si je m'étais présenté à leur poste avec un billet d'avion Alger/Tel-Aviv sans escale dans une main et dans l'autre un visa israélien tout frais collé sur mon beau passeport vert. Auraient-ils poussé jusqu'à me gazer, je me le demande. J'ai fait autrement et la ruse a payé, j'ai pris la route par la France, muni d'un visa israélien volant récupéré à Paris, rue Rabelais, au saut d'un taxi, grâce à quoi me voilà aujourd'hui en possession de mille et une histoires à ne pas dire que je me promets de vous raconter en détail dans un prochain livre, si Dieu nous prête vie.

 

Je vous parlerai d'Israël et des Israéliens comme on peut les voir avec ses propres yeux, sur place, sans intermédiaires, loin de toute doctrine, et qu'on est assuré de n'avoir à subir au retour aucun test de vérité. Le fait est que dans ce monde-ci il n'y a pas un autre pays et un autre peuple comme eux. Moi, ça me rassure et me fascine que chacun de nous soit unique. L'unique agace, c'est vrai, mais on est porté à le chérir, car le perdre est tellement irrémédiable.
 

Je vous parlerai aussi de Jérusalem, Al-Qods. Comme il me semble l'avoir ressenti, ce lieu n'est pas vraiment une ville et ses habitants ne sont pas vraiment des habitants, il y a de l'irréalité dans l'air et des certitudes d'un genre inconnu sur terre. Dans la vieille ville multimillénaire, il est simplement inutile de chercher à comprendre, tout est songe et magie, on côtoie les Prophètes, les plus grands, et les rois les plus majestueux, on les questionne, on leur parle comme à des copains de quartier, Abraham, David, Salomon, Marie, Jésus et Mahomet le dernier de la lignée, et Saladin le preux chevalier, que le salut soit sur eux, on passe d'un mystère à l'autre sans transition, on se meut dans les millénaires et le paradoxe sous un ciel uniformément blanc et un soleil toujours ardent. Le présent et ses nouveautés paraissent si éphémères qu'on n'y pense bientôt plus. S'il est un voyage céleste en ce monde, c'est ici qu'il commence. Et d'ailleurs n'est-ce pas là que le Christ a fait son Ascension au ciel, et Mahomet son Mi'râj sur son destrier Bouraq, guidé par l'ange Gabriel?

 

On se demande quel phénomène tient le tout en ordre, dans une grande modernité au demeurant puisqu'aussi bien Jérusalem est une vraie capitale avec des rues propres, des trottoirs pavés, des maisons solides, des voitures dynamiques, des hôtels et des restaurants attirants, des arbres bien coiffés, et tellement de touristes de tous les pays... sauf des pays arabes, les seuls au monde à ne pas venir ou pouvoir venir visiter leur berceau, ce lieu magique où sont nées leurs religions, la chrétienne aussi bien que la musulmane.

 

Ce sont finalement les Israéliens arabes et juifs qui en profitent, ils les voient tous les jours, toute l'année, matin et soir, sans apparemment jamais se lasser de leur mystère. On ne peut pas dénombrer les touristes dans ces labyrinthes, ils sont trop nombreux, plus que les autochtones, et la plupart se comportent comme s'ils étaient aussi des pèlerins venus de loin. Ils vont en groupes compacts pénétrés qui se croisent sans se mêler, les Anglais, les Hindous, les Japonais, les Chinois, les Français, les Hollandais, les Ethiopiens, les Brésiliens, etc, menés par d'infatigables guides, assermentés sans doute, qui jour après jour, dans toutes les langues de la création, racontent aux foules médusées la légende des siècles.

 

Là, si on tend bien l'oreille, on comprend vraiment ce qu'est une cité céleste et terrestre à la fois, et pourquoi tous veulent la posséder et mourir pour elle. Quand on veut l'éternité, on se tue pour l'avoir, c'est bête mais on peut le comprendre. Je me suis moi-même senti tout autre, écrasé par le poids de mes propres questions, moi le seul de la bande qui ait touché de ses mains les trois lieux saints de la Cité éternelle: le Kotel (le Mur des Lamentations), le Saint-Sépulcre et le Dôme du Rocher. En tant que juifs ou chrétiens, mes compagnons, les autres écrivains du festival, ne pouvaient pas accéder à l'Esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de l'islam où s'élèvent le Dôme du Rocher, Qûbat as-Sakhrah, rutilant dans ses couleurs azur, et l'imposante mosquée al-Aqsa, Haram al-Sharif, ils furent repoussés sans hésitation par l'agent du Waqf, gestionnaire des lieux, assisté de deux policiers israéliens chargés de garder l'entrée de l'Esplanade et la préserver de tout contact non halal. Moi je suis passé grâce à mon passeport, il stipule que je suis Algérien et par déduction il dit que je suis musulman. Je n'ai pas démenti, au contraire, j'ai récité un verset coranique tiré de mes souvenirs d'enfance, ce qui a carrément stupéfié le gardien, c'était la première fois de sa vie qu'il voyait un Algérien, il croyait qu'à part l'émir Abd-el-Kader, ils étaient tous un peu sépharades, un peu athées, un peu autre chose. C'est amusant, mon petit passeport vert m'a ouvert la frontière des Lieux Saints plus vite qu'il ne m'ouvre la frontière Schengen en Europe où la simple vue d'un passeport vert réveille aussitôt l'ulcère des douaniers.

 

Voilà, je vous le dis franchement, de ce voyage Je suis revenu heureux et comblé. J'ai toujours eu la conviction que faire n'était pas le plus difficile, c'est de se mettre en condition d'être prêt à commencer à le faire. La révolution est là, dans l'idée intime qu'on est enfin prêt à bouger, à changer soi-même pour changer le monde. Le premier pas est bien plus que le dernier qui nous fait toucher le but. Je me disais aussi que la paix était avant tout une affaire d'hommes, elle est trop grave pour la laisser entre les mains des gouvernements et encore moins des partis. Eux parlent de territoires, de sécurité, d'argent, de conditions, de garanties, ils signent des papiers, font des cérémonies, hissent des drapeaux, préparent des plans B, les hommes ne font rien de tout cela, ils font ce que font les hommes, ils vont au café, au restaurant, ils s'assoient autour du feu, se rassemblent dans un stade, se retrouvent dans un festival, dans une plage et partagent de bons moments, ils mêlent leurs émotions et à la fin ils se font la promesse de se revoir. "A demain", "A bientôt", "L'an prochain, à Jérusalem", dit-on. C'est ce que nous avons fait à Jérusalem. Des hommes et des femmes de plusieurs pays, des écrivains, se sont rassemblés dans un festival de littérature pour parler de leurs livres, de leurs sentiments devant la douleur du monde, de choses et d'autres aussi et en particulier de ce qui met les hommes en condition de pouvoir un jour commencer à faire la paix, et à la fin nous nous sommes promis de nous revoir, de nous écrire au moins.

 

Je ne me souviens pas que durant ces cinq jours et cinq nuits passés à Jérusalem (avec au troisième jour un aller-retour rapide à Tel-Aviv pour partager une belle soirée avec nos amis de l'institut français), nous ayons une seule fois parlé de la guerre. L'aurions-nous oubliée, avons-nous seulement évité d'en parler ou aurions-nous fait comme si cette époque était révolue et qu'il était venu l'heure de parler de la paix et de l'avenir? Sans doute, on ne peut pas parler à la fois de la guerre et de la paix, l'un exclut l'autre. J'ai beaucoup regretté cependant qu'il n'y ait pas eu un Palestinien parmi nous. Car après tout, la paix est à faire entre Israéliens et Palestiniens. Moi, je ne suis en guerre ni avec l'un ni avec l'autre, et je ne le suis pas parce que je les aime tous les deux, de la même manière, comme des frères depuis les origines du monde. Je serais comblé si un jour prochain, j'étais invité à Ramallah, avec des auteurs israéliens aussi, c'est un bel endroit pour parler de la paix et de ce fameux premier pas qui permet d'y aller.

 

Je fais une mention spéciale à propos de David Grossman, ce monument de la littérature israélienne et mondiale. J'ai trouvé formidable que deux écrivains comme nous, deux hommes honorés par le même prix, le Friedenspreis des Deutschen Buchhandels, le prix de la Paix des libraires allemands, à une année d'intervalle, lui en 2010, moi en 2011, se retrouvent ensemble en 2012 pour parler de la paix dans cette ville, Jérusalem, Al-Qods, où cohabitent juifs et arabes, où les trois religions du Livre se partagent le cœur des hommes. Notre rencontre serait-elle le début d'un vaste rassemblement d'écrivains pour la paix? Ce miracle verra-t-il le jour en 2013?
 

Souvent le hasard se fait malicieux pour nous dire des choses qui précisément ne doivent rien au hasard.

 

Quelque part sur le chemin du retour, entre Jérusalem et Alger.

 

Boualem Sansal

 

 

A propos de la visite de l'écrivain algérien Boualem Sansal

 

(publié en juin 2012)

 

Boualem Sansal est un homme courageux. Courageux dans ses actes, courageux dans sa pensée. Je l'ai rencontré au festival d’écrivains qui a eu lieu à Jérusalem en

Mai 2012, et je l’ai tout de suite senti : il s’agissait là d’un homme à l'esprit libre.

 

Il est arrivé en Israël en dépit des menaces, des dénonciations, et des diffamations, qui lui étaient adressées dans son propre pays ainsi que dans le monde arabe. Je ne sais pas combien d'entre nous aurait pu résister à ces pressions et rester fidèle à

eux-mêmes et à leurs valeurs.

 

Le plus grand courage de Sansal est, à mon avis, sa promptitude de faire face à la réalité, sans se cacher derrière les préjugés et la croyance fanatique. Il est assez facile de trouver refuge dans la pensée stéréotypée étant donné la complexité d'une situation comme celle de notre région. Il est confortable et tentant de se livrer à la haine diabolisante contre Israël si répandue dans le Monde arabe et musulman, plutôt que de faire face à la complexité de la tragédie du Moyen-Orient.

 

Boualem Sansal décida de venir en Israël et de le voir par lui-même. Et quand il l’a vu, il a dit honnêtement, à lui-même ainsi qu’à ses lecteurs, que ce qu'il a vu ne ressemblait pas à ce qu'il avait entendu dire d'Israël au cours de nombreuses années de prêche et de lavage de cerveau. Dans ses apparitions publiques et dans des conversations privées, ici, il n'a pas ignoré les  problèmes d’Israël, et certainement pas les torts que celui-ci a causé aux Palestiniens. Mais il a aussi vu la singularité d'Israël et de ses grandes réalisations. Il a compris sa relation complexe avec son histoire traumatique, et l'insécurité existentielle qui pèse constamment, alors même qu'Israël est la plus grande puissance militaire dans la région, et une source de  vitalité et d’énergie créative.

 

Par dessus tout, il a vu des êtres humains, il a parlé avec eux, les a écouté, a discuté avec eux. Il s'est ouvert à la douloureuse complexité du retour des Juifs sur leur terre, et la tragédie que ce retour a provoqué aux Palestiniens. Il a accompli le premier devoir de toute personne qui veut vraiment comprendre, sans se cacher

derrière des slogans abrutissants: il est venu. Il était ici. Il a connu, sans filtres, les deux côtés, et leurs histoires contradictoires.

 

Et quand il est venu ici, il a aussi permit aux nombreux Israéliens qu’il a rencontré d’ôter, ne serait-ce que brièvement, leur armure de stéréotypes sur «les Arabes» et

leurs propres croyances bien ancrées. Ils ont entendu une nouvelle voix qui les appelait de l'intérieur du monde arabe. Ils ont senti que cet homme leur offrait un nouveau chemin vers le dialogue, l'interaction, l'acceptation. Croyez-moi

-étant donné la relation méfiante et hostile entre Israéliens et Arabes - c'est une occasion rare, presque un rêve.

 

Existe-t-il un acte créatif plus audacieux et plus libérateur que ce que l'écrivain Sansal a fait à travers son voyage ici? Rares sont les intellectuels, les auteurs, les journalistes, les universitaires et les membres du clergé arabes qui ont osé faire ce que Boualem Sansal a fait. Mais peut-être, en général, seules quelques personnes sont capables d'atteindre, comme il l’a fait, la complexité de la vie des étrangers, même des ennemis, et de sentir leur humanité commune.

 

Mais c'est précisément le genre de contact qui nous manque ici: le contact qui peut

apporter étrangers et ennemis, tout à coup, à se rappeler la possibilité encore contenue en eux, une possibilité dont ils ont été exilés depuis des années par

leurs haines et leurs peurs. Rares sont les personnes comme Boualem Sansal, dont la vision et la sensibilité ont le pouvoir de guérir un monde peiné et déchiré.

 

David Grossman

 

 

 



[1] Boualem Sansal est un écrivain algérien, principalement romancier mais aussi essayiste, censuré dans son pays d'origine (dans lequel il habite pourtant toujours) à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place. Il est en revanche très reconnu en France et en Allemagne, pays dans lesquels il a reçu de nombreux prix (notamment le Grand Prix de la Francophonie en 2008 et le “Friedenpreis” en 2011).

[2] David Grossman est un écrivain israélien, auteur de romans, d’essais et de livres pour la jeunesse. Il a mis sa notoriété nationale et internationale au service de la paix entre Israël et la Palestine, en soutenant l’Initiative de Genève en 2003 et en lançant – aux côtés d’Amos Oz et d’A.B. Yehoshua – un appel au cessez-le-feu lors du conflit israélo-libanais en août 2006. Il a reçu le « Friedenpreis » en 2010.